Porte d’entrée dans la tête de Burton
La filmographie de Tim Burton m’a toujours donné des papillons dans le ventre, souvent avec excitation pour son cinéma, mais aussi par incompréhension pour certains de ses derniers films. Si Edward ou le Frankenweenie animé m’ont transportée d’enthousiasme, j’avoue être tombée de haut avec Dark Shadows ou son Alice effacée… Néanmoins, comme une ancienne manie dont on ne peut se séparer, je reste une imperturbable adepte du syndrome burtonien. Quoi qu’il en soit.
Flashback donc avec Sleepy Hollow, sorti en 2000, qui fait partie des meilleurs. Pur exercice du genre, je vous propose une petite analyse filmique autour de l’esthétique si travaillée de ce film. Apprêtez vous à rencontrer sorcières, maléfices et vieux arbres envoûtés. Entrons dans ce film comme dans la tête de Tim burton…
1799, un détective, Ichabod Crane, mène l’enquête sur des meurtres mystérieux à répétition dans le village de Sleepy Hollow. La légende est dans tous les esprits, il s’agirait de l’oeuvre d’un cavalier sans tête…
En adaptant The Legend of Sleepy Hollow de Washington Irving (1820), Tim Burton approfondit son thème de prédilection, le conte d’horreur à l’esthétique gothique, et s’essaye au film d’épouvante.
Une atmosphère. Sleepy Hollow est avant tout un univers. Presque monochrome, entre les roux, bruns, noirs ; entrecoupés d’un rouge sanglant, éclairés d’une lumière à couper le souffle, l’ambiance prend vite pied.
Tim Burton a en effet toujours su cultiver et allier le mystère à la poésie grâce aux atmosphères. Son décorateur fétiche Rich Heinrichs et le chef opérateur Emmanuel Lubezki donnent à Sleepy Hollow des airs de village hanté, aux secrets inavoués, étrange et fantastique. En un mot, merveilleux. On pense alors à la poésie de ces décors surréalistes juste comme il faut, à leur dimension picturale (sorte « d’expressionisme naturel ») qui rappelle les premiers films d’épouvante de la production Hammerfilms, ou aux nouvelles sombres et fabuleuses d’Edgar Allan Poe. Tim Burton a l’art de la composition et de la nuance dans la peau : c’est un alchimiste.
L’art de la composition. Alchimiste dans le sens où il manie les règles stylistiques et esthétiques du conte fantastique à merveille. Comment rester insensible aux charmes de la musique envoûtante de Danny Elfman qui nous ferait presque croire pour de bon aux fées et elfes ? Burton crée l’émerveillement. Il saupoudre le tout de quelques frissons lors des apparitions du cavalier sans tête, millimétrées et au goût de second degré sur-maîtrisé, le tout dans une forêt embrumée et délicieusement sombre. Et enfin, se sentir porté par les émotions judicieusement portées par les couples entre Ichabod et Katrina ou avec le jeune Masbath. Mais, ce qui fait définitivement le charme de cette alchimie, c’est le zeste d’ironie que Tim Burton n’oublie jamais d’apporter. Depp l’aide grandement en composant un inspecteur superstitieux, poltron et collet monté qui ose défaillir rien qu’à la vue de l’hémoglobine…tout un programme.
Des personnages typés mais complexes. Pour la troisième fois (et loin d’être la dernière!), après Edward aux mains d’argent et Ed Wood, Burton retrouve Depp. De leur fusion naît souvent la magie qui caractérise les films de Burton. Dans Sleepy Hollow, le jeu de Depp permet la dérision, souvent macabre et c’est pour ça que c’est bon, mais aussi la mise en opposition des valeurs rationnelles et de la superstition, la magie. Ichabod Crane est un jeune enquêteur naïf mais déterminé. Il représente le personnage très cartésien qui devient finalement assez risible dans ce monde dénué de toute logique. Tim Burton aime jouer sur les antagonismes et crée un décalage savoureux : associé au cavalier sans tête, le personnage si cérébral de Crane prend toute son ampleur et crée une belle dynamique. Tout comme Ichabod, aussi possédé par la raison que le cavalier par la magie… Associé au jeune Masbath, il forme un drôle de Shelock Holmes qui sera confronté à d’inombrables situations aussi absurdes que comiques. Dans Sleepy Hollow, la peur côtoie le (sou)rire. Burton a su trouver le juste milieu entre épouvante et humour sans jamais tomber dans le total second degré.
Une esthétique symbolique. Il est également des personnages qui ne sont pas de chair et de sang. Le fameux arbre aux morts qui abrite le cavalier et les tête décapitées constitue à lui seul un être à part entière.
De part sa mise en scène, son imposante stature, son élégance et la frayeur qu’il dégage, il prend de l’ampleur dans nos esprits au fur et à mesure du film. L’arbre semble de toute évidence, tenir une grande importance dans l’imaginaire du cinéaste. Comment oublier les arbres tourmentés de L’Etrange Noël de Mr Jack (réalisé par Henry Selick mais largement imprégné de la production de Burton), ceux de Big Fish ou de Frankenweenie ? De même que ces arbres stylisés, on retiendra de toute évidence l’influence de ses débuts de carrière chez Disney comme dessinateur. Afin d’éviter le grotesque, il s’est servi des ficelles de l’animation pour obtenir le dosage correct de noirceur, d’action et d’ironie. Une de ses créations les plus inspirées pour ce film restera le moulin à vent, lieu du dénouement. Sur fond de ciel rouge sang, les ailes noires se détachent menaçantes pour finalement prendre feu. Un tableau à l’image de la sophistication esthétique du film…
Entre cauchemar et réalité, le vrai et l’illusoire, la magie et la rationalité ; Sleepy Hollow balance. Affaire de chimie ou de sorcellerie, qu’importe puisque le sortilège prend !
A venir dans un prochain article, un approfondissement sur le lien qui selon moi, lie tous ces états pour faire de ce film un petit bijou pleins de symboles…