Un oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke

La vie domestique selon Laura Kasischke.

Alors que le dernier roman de Laura Kasischke, Esprit d’Hiver, amasse les louanges ; j’ai décidé avant d’en tourner la première page, de lire Un Oiseau blanc dans le blizzard. Nul besoin de s’enfoncer bien loin dans la lecture pour être séduite par son écriture. Je suis rentrée dedans comme on se languie d’un bain chaud, avec douceur, volupté et un peu de frisson également.

Kat, seize ans, vit dans une banlieue (trop) calme du Michigan depuis son enfance. Ses parents qui forment pourtant en apparence un couple typique des banlieues résidentielles sont emplis de failles. Entre son père, transparent et faible face à une mère fragile mais orageuse, Kat tente de grandir et n’a pour insouciance que ses ébats et relations amoureuses avec Phil, son petit ami. Puis, sa mère disparaît. Comme une plume pourrait s’être envolée dans un courant d’air. Plus aucune nouvelle, seul le vide reste. 

 Une écriture poétique

La plume de Laura Kasischke frôle la poésie en permanence. Elle a d’ailleurs écrit des recueils de poèmes mais ses romans caressent également ce style. En permanence. Elle peint les sentiments de ses personnages avec beaucoup d’images, de métaphores & de romantisme (au sens littéraire du terme). Parfois avec humour, quand Kat parle de son copain « Ecouter Phil parler, c’est un peu comme regarder du golf à la télévision. Vous voyez bien qu’il possède les bons gestes, qu’il a les clubs qu’il faut, les vêtements qu’il faut. (…) Mais vous pouvez regarder avec toute l’attention du monde, vous ne le verrez jamais toucher la balle, et vous ne verrez jamais la balle atterrir. » Parfois aussi avec noirceur, les animaux se mêlent à l’image et aux cinq sens, toujours pour mieux nous faire ressentir le malaise, l’incompréhension. Et en ce sens, je trouve que l’écriture de Laura Kasischke est empreinte de romantisme, avec la primeur du sentiment sur la raison, l’évasion dans le ravissement des rêves, la question du morbide toujours en filigrane. Le spleen et la mélancolie sont comme deux entités qui se répondent toujours dans ses mots, bien que le roman reste un livre tout à fait actuel et ancré dans le rythme de nos sociétés actuelles. En bref, de l’évasion, du rêve et de la noirceur mais aussi du quotidien et de la futilité. L’exercice n’était pas aisé, il est relevé.

Un récit initiatique en mille morceaux

L’histoire est racontée par Kat. Elle parle de sa vie, chapitrée en 4 parties, une pour chaque année qui la verra grandir. Kat était grosse, elle ne le sera plus. Kat est une adolescente qui découvrira les plaisirs sexuels. Kat n’a plus de mère, mais continue de vivre avec son fantôme. Toujours avec finesse & subtilité, Laura Kasischke parle d’enfance et de construction de soi. Elle n’évite pas les situations embarrassantes, parle de façon parfois crue, et étrangement, arrive tout de même à faire de la dentelle de tous ces mots. Kat est comme une fleur qui fleurit tout au long du livre mais ses piquants ne cessent de s’accrocher aux parois de sa vie, bien trop opressante. Découvrir l’amour, réapprendre à vivre avec son père et le vide, l’amitié, et la scolarité qui la mènera hors de sa banlieue natale sont autant d’étapes qu’elle franchira, avec ou sans dommages. Il est dur de parler de ces étapes de la vie sans verser dans le roman teenager, ici, on en est bien loin. Le sentiment est roi, la poésie son expression.

Parler du vide, de l’absence

Un thème, l’absence. Comment parler du vide ? Signifier ce qui n’est plus ? La trame du livre de Laura Kasischke est inventive car pourtant chapitrée dans le temps, les morceaux de vie qui y sont relatés répondent à un doux désordre-ordonné. Si Kat est le fil conducteur de ce roman, ses expériences du quotidien étant la trame de l’histoire ; elle nous parle aussi du passé qui s’entremêle avec des fragments de présent. Et, géniale idée que celle de choisir Kat aussi pour parler de sa mère alors même qu’elle n’était pas présente à ces moments là… Petit à petit, on avance dans le roman, et on apprend à connaître Eve, cette mère absente, ce vide que l’on doit combler.

Un thriller claustrophobe

Vous vous en rendrez compte bien vite, impossible de s’arrêter dans sa lecture. Ce huit clos, puisque toute l’histoire ou presque se déroule dans la maison familiale, utilise l’asphyxie pour capter son lecteur. Et la disparition de la mère commence petit à petit à nous obséder. Pourquoi ? Où est-elle ? Eve devient doucement la colonne vertébrale du roman et l’on comprend tout le poids que représentent ces femmes au foyer américaines dans le schéma familial et sociétal. Comme le confiait l’auteure dans une interview pour Télérama, « Les habitants du Michigan ont la réputation d’être « friendly and slappy » : toujours à vous taper dans le dos et à frapper dans leurs mains. C’est une réalité, mais j’essaie de montrer ce qu’il y a derrière cette façade joviale. (…) Beaucoup d’Américaines moyennes ont été élevées selon le schéma traditionnel, pour être de bonnes mères et de bonnes épouses. Elles doivent assister sans rien dire, avec le sourire, à l’effondrement de toutes les valeurs qu’ont portées leurs ancêtres. Pour elles, la seule aventure possible est sentimentale. Mais vivre leur sexualité, leurs amours est une expérience pleine de dangers, une véritable odyssée qu’elles ne peuvent mener qu’au prix d’un lourd combat intérieur. Toutes mes héroïnes se démènent pour cela. »

Comme une cousine lointaine de Joyce Carol Oates, Laura kasischke se plaît à raconter des existences à la dérive, des portraits féminins pleins de grâce. Mais avec une écriture plus crue, plus percutante. Métaphorique, en suspension et pourtant si réelle…

 

Un oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke

Un oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke
Laura Kasischke

 

 

 L’interview de Laura Kasischke pour Télérama

Son portrait chez l’Editeur Christian Bourgeois 

 

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5 réponses sur “Un oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke”

  1. Sur tes conseils, Laura, j’ai lu et apprécié « Un oiseau blanc dans le blizzard ». Ses descriptions et l’atmosphère générale du livre m’ont beaucoup rappelées les tableaux d’Edward Hopper. Je suis également d’accord avec le côté Joyce Carol Oates de son écriture.
    Je viens de commencer les premières pages d’un autre roman de Laura Kasischke : « Rêves de garçons » en attendant de lire « Esprit d’hiver »!

    1. Je visualise tout à fait les ambiances à la Hopper, calmes et mystérieuses (et que j’aime tant d’ailleurs!), parfaites pour illustrer l’écriture de Kasischke ! Il faut que je commence moi aussi un nouveau roman, pourquoi pas Rêves de garçons 😉 Merci pour ton avis Delphine !

  2. J’aime beaucoup Laura Kasischke et c’est vrai qu’elle peut faire penser à Joyce Carol Oates. Je n’ai pas lu le livre dont tu parles mais il va encore une fois rejoindre ma pàl. De cette auteur, j’ai lu : « La Couronne verte » et « À moi pour toujours », j’ai aimé les deux mais si je devais en conseiller un, ce serait « La Couronne verte ». Enfin, concernant Joyce Carol Oates, en as-tu lu beaucoup de elle ? Sinon je peux te donner des pistes 😀

    1. Alors je vais me pencher sur la couronne verte ! J’ai lu plusieurs romans de Joyce Carol Oates, et j’ai beaucoup aimé Les Chutes & Fille noire, fille blanche. J’aime aussi son écriture et les ambiances qu’elle créé même si je lui reproche des longueurs.

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