Alice in Wonderland, Tim Burton

Un Burton pas si renversant

Treize ans plus tard.  Alice retourne au pays des merveilles en ayant tout oublié de sa délirante première rencontre avec le chapelier fou, le lièvre de mars ou même les hurlements hystériques de la trépignante Reine Rouge… Cette fois-ci, Alice n’est pas en retard ni en perpétuelle course poursuite d’un lapin blanc affolé par le tic-tac d’une horloge angoissante. Non. C’est en voulant échapper à des fiançailles grotesques qu’Alice a délibérement poursuivi le lapin blanc. Et est tombée. Véritable voyage initiatique au coeur de son subconscient, elle y apprendra qui elle est pour mieux trouver sa place dans la société…

Un monde en sucre. C’est une toute petite clé qui ouvre une minuscule porte sur le gigantissime monde des merveilles. C’est là que réside toute la folie de Tim Burton avec ce nouvel opus : il en rêvait depuis L’Etrange Noël de Mr Jack, la 3D maintenant “officiellement officialisée” et offrant l’infini des univers, il était bien trop tentant d’y goûter. Mais l’ingrédient “magique” n’est pas toujours inoffensif… On pouvait malgré tout s’y attendre avec Tim Burton, le résultat est magnifique. La luxuriante nature s’enroule et se déploie gracieusement en fameuses arabesques, champignons amanites et végétation vaporeuse nous mangent les yeux de façon extraordinaire. Les couleurs éclatent, sucrées et vives, véritables bonbons qui ne cessent de nous attirer, les sens en éveil, prêts à savourer ces délicatesses rouge, turquoise et vert jade… Un univers aussi coloré et contrasté que celui de Charlie et la chocolaterie, Big Fish ou les banlieues américaines d’Edward aux mains d’argent. Vous savez, de ces voluptueuses couleurs qui rassasient, et annoncent malgré notre euphorie visuelle un curieux désordre, une sorte d’inquiétante étrangeté… Car là où d’autres auraient simplement imaginé un lac avec de quelconques rondins de bois pour le traverser, Burton, lui, oblige la douce Alice à sauter sur des têtes de morts, flottant monstrueusement aux atours de la diligente et écrasante demeure de la Reine Rouge. Là où un bel arbre majestueux aurait produit un effet de toute beauté, Burton ne peut s’empêcher de montrer le bois brut de son arbre fétiche, enroulé sur lui même et majestueux, cimetière de têtes coupées du chevalier de Sleepy Hollow…

Il manque du sel ! Dans ce monde imaginaire gonflé par le sucre des décors, ce sont ces petites touches salées qui font que l’univers d’Alice prend toute la beauté d’une imagerie burtonienne. Et pourtant… Comment ne pas en vouloir au maître de l’absurde ne pas aller jusqu’au bout de ses idées? Alice, bardée de ses hallucinations insensées, était écrite pour Tim Burton et est incontestablement le pendant féminin de ses héros, Vincent, Edward et les autres. Toujours en quête d’identité, souvent entre deux mondes et évidemment en proie à la possible existence d’une autre réalité… Comment se contenter de ce film, petit bijou pour les yeux, mais victime d’un manque évident d’humanité, de bizarrerie et de turpitudes inavouées ? Quelle déception ! C’est à croire que Burton ait été happé, englouti, par une technologie longtemps convoitée jusqu’à en oublier une partie de sa magie…cette merveilleuse finition jusqu’au plus petit des détails. Il manque de l’infiniment petit, il manque de la folie, il manque du piquant. Pourquoi ne pas aller plus loin lorsqu’il dispose distraitement, en arrière plan du festin du chapelier, un moulin dévasté par les flammes, relique funeste de son Sleepy Hollow ? Le jardin d’Alice aurait dû s’apparenter à cela, être l’endroit idéal pour exprimer tout le subconscient du cinéaste et jouer avec son propre cinéma. Et prendre Alice pour propre avatar dans cette aventure…

Vous reprendrez bien un peu de thé ? En revanche, si il y a bien quelque chose que Burton a bichonné, ce sont ses acteurs. Entouré de ses imperturbables et hypercréatifs accolytes, Johnny Depp et Helena Bonham Carter pour ne citer qu’eux, le film retrouve justement un peu de “dinguerie” dans chacun des personnages. Ils possèdent tous les deux ce pétillement dans les yeux qui laisse deviner un sérieux dévissage de boulons crânien rendant leur personnage bien plus délirant. A cette manière de trépigner jusqu’à ce que sa tête siffone comme le ferait une bouilloire ; l’électrisante Reine Rouge, véritable gamine despote à la guillotine facile, nous laisse complètement médusés. La performance d’Helena Bohnam Carter est tout simplement scotchante. Face à elle, une Alice qui ne se laisse pas faire. Loin d’être aussi innocente que lors de son premier voyage, elle dispose bien de toutes les cartes de son rêve. Ne lui reste plus qu’à vaincre la Reine de coeur pour rallier le peuple à la nébuleuse Reine Blanche (Anne Hattaway…étonnant satellite en suspension). Mia Wasikovska donne à Alice une belle maturité et s’empare des rênes du récit avec fermeté. Mais incontestablement, si Alice avait été un garçon, comme le sous-entend d’ailleurs le chapelier…, Tim Burton aurait donné le rôle à Johnny Depp. Le résultat? Un chapelier fou au rôle surdimensionné, à la hauteur de la complicité et de la créativité qui unit le cinéaste et l’acteur. Vous ne pourrez pas, de sitôt, effacer de vos mémoires le regard vert émeraude aux sentiments caméléons du chapelier fou. Ce poète de l’absurde remporte une fois de plus l’adhésion de tous nos regards et concentre en lui une bonne partie de la folie du film…Il fallait s’y attendre, l’entrée au pays des merveilles burtoniennes se fait par un trou de terrier noir comme la nuit, au pied d’un arbre ressemblant étrangement à celui de Sleepy Hollow…

Alice au pays des merveilles, Tim Burton
Alice au pays des merveilles, Tim Burton

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *