Amour & différence
« Dans les années 90, Laurence annonce à Fred, sa petite amie, qu’il veut devenir une femme. Envers et contre tous, et peut-être bien eux-mêmes, ils affrontent les préjugés de leur entourage, résistent à l’influence de leur famille, et bravent les phobies de la société qu’ils dérangent. Pendant dix ans, ils tentent de survivre à cette transition, et s’embarquent dans une aventure épique dont leur perte semble être la rançon. »
Avant dernière étape de cette semaine consacrée à Xavier Dolan ! Et quelle étape ! J’avoue avoir été plus que touchée par ce 3ème film de Xavier Dolan en tant que réalisateur. Laurence Anyways est sorti en salles en 2012, a été en sélection officielle « Un certain Regard » au festival de Cannes & sa fabuleuse actrice Suzanne Clément y a été récompensée pour son talent. Il a aussi reçu le prix du meilleur film canadien au festival du Film de Toronto & le grand Prix du Festival de Cabourg… Après avoir vu ses deux premiers films, J’ai tué ma mère & Les amours imaginaires, on saisit d’emblée la cassure avec le reste de sa filmographie. Xavier Dolan a fait le choix de rester derrière la caméra, de dompter ses ardeurs stylistiques tout en affirmant sa pâte artistique. La filiation avec ses précédents films est évidente et pourtant très différente. L’image est toujours autant travaillée, les codes et références toujours aussi abondants. Mais tout coule avec une dextérité qui forge le respect.
Je vais mettre quelques temps à me remettre de cette magnifique fresque amoureuse, une histoire d’amour et de courage, le courage de vouloir à tout prix continuer à vivre et assumer ses sentiments envers et contre tout. Au risque de se prendre des murs. Au risque de tomber. Pour la 3ème fois, osons le concept des 4 mots pour parler de ce très beau film.
Epopée
Celle d’un film fleuve, à la manière d’une grande fresque. Plus de 2h30 de film pour apprivoiser ses personnages & s’imprégner de leur amour, de ce qui les réunit et de ce qui les sépare. Comme une immense envie de cinéma, Laurence Anyways, c’est entrer une fois de plus dans un projet sur-dimensionné & ambitieux de Xavier Dolan.
Courage
Le courage de Laurence et Fred, qui vont décider de se jeter à coeur & corps perdus dans cette histoire, et ce malgré les regards qui les rattraperont toujours. Le courage de Laurence, en cessant de se voiler la face et en s’acceptant comme il s’est toujours senti être, une femme. Le courage de Fred qui choisira d’abord de suivre son compagnon lors de sa transformation en femme, quitte à se perdre elle-même. Deux personnages aux prénoms prémonitoires, Laurence (lui) & Fred (elle), comme affublés d’un destin, tels des héros de tragédie grecque. Et qui forme, mine de rien, encore une fois une sorte de trio (comme dans tous les films de Dolan) : Fred, Laurence homme & Laurence femme. Malheureusement, une « Laurence » est de trop pour que l’amour du couple perdure. Pour interpréter les amoureux ce sont Melvil Poupaud & Suzanne Clément que le réalisateur a choisi, et il faut souligner leur immense talent tant ils sont subtils et empreints de justesse.
Enfin, le courage de Xavier Dolan, qui, toujours auréolé de son insolence cinématographique, ne se refuse rien. De faire commencer le film à l’époque où lui même est né, de le faire durer sur 11 longues années, de traiter d’un sujet aussi important qu’est l’identité, l’amour & le courage, de s’entourer de ses actrices fétiches une fois de plus, de balayer les codes classiques du cinéma pour les renouveler. Pour qu’au final, ce soit nous, les spectateurs qui soyons les grands gagnants de cette audace. En ne se refusant rien, Dolan ose. Et nous offre un très beau film.
Opéra
Est-ce à nouveau l’omniprésence de la musique, la propension de Xavier Dolan à créer de minis clips dans chacun de ses films, l’aspect tragique de l’histoire, les destins des personnages, la gravité du sujet… Laurence Anyways a presque les allures d’un opéra moderne. A l’image des magnifiques tableaux que le réalisateur crée, tout en ralentis, en couleur et pleins d’onirisme. Comme la sublime idée de faire tomber un déluge d’eau sur l’héroïne, assise dans le canapé de son salon, lorsqu’elle lit une lettre qui la bouleverse. Ou de faire tomber du ciel sur le couple des milliers de vêtements de toutes les couleurs pour rappeler une scène qui les rendaient autrefois joyeux…
Sentiments
Parce que le cinéma de Dolan est pour moi un cinéma de sentiments. Pas au sens galvaudé du terme, comprenons nous, mais dans son acceptation la plus brute du terme. Il sait retranscrire en images le sentiment. L’amour, la haine, la vengeance, l’acceptation… Par un décor (un très long couloir, une forêt d’automne), des costumes (bien souvent très colorés comme pour annoncer toute l’audace de ses films), de la musique (et son ralenti qui va avec), un format (ici le 4/3 comme pour Mommy, qui concentre toute l’intensité du film en un carré parfait), ou des gimmicks propres à Dolan (ses actrices, véritables piliers, ou des scènes qui reviennent dans tous ses films. Comme la scène du thé par exemple!)… J’ai aimé les 2 premiers films de Xavier Dolan mais celui-ci est d’une beauté encore plus touchante. Et si toutes ces intentions étaient déjà présentes dans J’ai tué ma mère & Les amours imaginaires, elles éclatent dans Laurence Anyways, annonçant presque le triomphe d’aujourd’hui pour Mommy…
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C’est grâce à Laurence Anyways que j’ai découvert (et adoré) Xavier Dolan en 2012 et ce film m’a marquée pendant très longtemps, encore aujourd’hui d’ailleurs… Je suis d’accord avec toi, il y a une vraie rupture dans le cinéma de Xavier Dolan avec ce 3ème film. On est dans une autre dimension, une autre ampleur. C’est un film magistral, j’aime tes termes d’épopée et d’opéra moderne. C’est ce côté très romanesque qui m’a plu dans ce film et tout le reste que tu expliques très bien aussi. Bravo pour ton article, grâce à toi je me replonge dans le film que je n’ai pas revu.
J’ajouterai un 5ème mot: la tolérance. Je trouve que ce film est un beau message de tolérance envers les différences, en l’occurrence Laurence qui est un peu « hors norme » et qui se bat pour être aimé et exister avec sa différence. Le thème de la tolérance est présent dans tous ses films je trouve et notamment dans Tom à la ferme.
Totalement d’accord pour ajouter le mot tolérance, qui caractérise parfaitement Laurence…, et tous les autres films de Dolan. Et qu’est ce que ça fait du bien un peu de tolérance !
j’avais beaucoup aimé « Les amours imaginaires ».
Il va vraiment falloir que je me penche sur ses autres films …
Ah oui, regarde « Laurence Anyways », bouleversant… & Mommy bien entendu car c’est un chef d’oeuvre ! 🙂